Jeux d’écriture

Arghhhh ! Un grand cri de désespoir traverse le petit monde de la cryptologie de la fin du XIXe s. Il faut dire qu’à cause des sieurs Babbage et Kasiski (voir la première partie du dossier), les spécialistes des codes secrets ont de quoi se lamenter : « Maintenant que le chiffre de Vigenère a été brisé, piaffent-ils en substance, comment allons-nous sécuriser nos messages ? » La réponse ne viendra que quelques décennies plus tard…

Mais déjà, les codes secrets ne sont plus seulement affaire de militaires, d’espions ou de diplomates : le grand public entre dans la danse. De plus en plus de jeunes gens amoureux — craignant que leurs lettres ne soient interceptées par leurs parents — expriment leur affection par des messages codés… qu’ils publient dans la presse ! Idem avec la démocratisation du télégraphe : c’est rapide, abordable, mais les missives passent tout de même entre les mains (parfois indiscrètes) des opérateurs de morse. Ceux-ci doivent donc s’habituer à transmettre de mystérieux textes, codés par l’expéditeur.

Et comment ne pas savourer la débrouillardise de ces Britanniques usant des codes secrets… pour faire des économies. Eh oui ! Avant l’intervention d’un certain Charles Babbage (encore lui !) et la réforme fiscale de 1850, le courrier anglais est taxé à raison d’un shilling tous les cent miles (160 km). Tandis que la presse, elle, est transportée gratuitement par la poste. De nombreux petits malins se servent donc d’une pointe d’épingle pour épeler leur message : avec, ils percent de petits trous sous les lettres imprimées d’une page de journal. Il ne leur reste alors plus qu’à l’envoyer par la poste, sans bourse délier !

C’est Babbage, qui, le premier, se rend compte que le temps passé à calculer le prix (proportionnel à la distance) pour chaque lettre revient plus cher… que le coût du transport lui-même. D’où le passage au timbre unique, valable quelle que soit la distance, que nous utilisons encore aujourd’hui. Grâce à Babbage, la resquille devient superflue !

Étant donné l’engouement croissant du public pour les codes secrets, certains auteurs de renom les utilisent parfois comme ressort de leur œuvre. Dans le Voyage au centre de la Terre de notre Jules Verne national, les héros doivent décrypter un mystérieux parchemin, couvert de runes, pour trouver l’entrée du passage située dans la bouche d’un volcan islandais — où débutera leur fantastique périple. Un chiffre de substitution leur permet de découvrir un texte clair en latin (voir encadré ci-dessous).

La clef du roman

Il serait inimaginable que le fameux Sherlock Holmes (sous la plume de sir Arthur Conan Doyle) ne se soit pas également intéressé aux codes secrets. Et de fait, dans l’une de ses aventures, le détective révèle au docteur Watson qu’il est l’auteur d’un traité portant sur pas moins de 160 chiffres différents ! Mais c’est dans la nouvelle Les Hommes dansants qu’on trouve un codage assez original : chaque lettre du texte clair est remplacée par un petit bonhomme qui agite les bras et les jambes.

Les hommes dansants

Les Hommes dansants de Shelock Holmes
(« Viens ici tout de suite »)

Quant au maître du fantastique, l’Américain Edgar Allan Poe, il est fasciné par tout ce qui touche aux codes secrets. Il devient si bon cryptologue qu’il n’hésite pas à défier les lecteurs d’un journal de Philadelphie de lui envoyer un chiffre de substitution impossible à briser. Résultat des courses : son talent est tel que, malgré l’afflux de propositions, il les déchiffre toutes ! Évidemment, l’une de ses oeuvres, Le Scarabée d’or, est entièrement bâtie autour d’un code secret déconcertant. Un bon conseil : lisez cette nouvelle ! Dans une histoire passionnante, Poe détaille pas à pas la démarche utilisée pour décrypter le message. Fascinant !

Voyage au centre de la Terre

Pour décrypter le message qui se cache derrière les runes du Voyage au centre de la Terre de Jules Verne, la première étape consiste à convertir chacune en son équivalent dans l’alphabet latin :

jules_verne_cryptogramme3

m . r n l l s e s r e u e l s e e c J d e
s g t s s m f u n t e i e f n i e d r k e
k t , s a m n a t r a t e S S a o d r r n
e m t n a e l n u a e c t r r i l S a
A t v a a r . n s c r c i e a a b s
c c d r m i e e u t u l f r a n t u
d t , i a c o s e i b o K e d i i Y

Le message en clair s’obtient en prenant — de gauche à droite et de haut en bas — la première lettre de chaque groupe de lettres (ici en vert), puis la deuxième, la troisième, la quatrième (ici en rouge), etc., et en les mettant bout à bout. Attention à la dernière série (en mauve), certains groupes de lettres sont incomplets. Et notez au passage que le graveur de runes s’est trompé — comme nous le verrons — de symbole pour le e du dernier bloc en haut à droite.

Il suffit enfin de lire le résultat obtenu en commençant par la fin pour découvrir ce texte en latin :

« In Sneffels Yoculis craterem kern delibat umbra Scartaris
Julii intra calendas descende, audas viator,
et terrestre centrum attinges.
Kod feci. Arne Saknussem »

Ce qui, une fois traduit, donne :

« Descends dans le cratère de Yocul de Sneffels que l’ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes de juillet, voyageur audacieux, et tu parviendras au centre de la Terre.
Ce que j’ai fait. [signé:] Arne Saknussem »

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Cet article a été publié le Samedi 31 janvier 2009 à 15 h 13 min et est classé dans Cryptographie, Histoire, Histoire des Sciences. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Les commentaires et les pings sont actuellement fermés.

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