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L’Épopée des Templiers

   Ecrit par : Olivier Fèvre   in Histoire

Une réputation sulfureuse, un trésor fabuleux, une terrible malédiction… Il n’en fallait pas plus pour susciter une légende ! Après deux siècles tumultueux, l’histoire des Templiers s’achève en 1314, avec le martyre des deux derniers chevaliers, condamnés à mort par Philippe le Bel. Retour sur une formidable épopée, pleine de bruit et de fureur.

Zoom

L’« hérésie » est une doctrine, d’origine chrétienne, qui est jugée contraire à la foi catholique et condamnée par l’Église.

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Le 18 mars 1314, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay — derniers dignitaires de l’Ordre du Temple — sont condamnés au bûcher. (Illus. Thierry Ségur)

« Maudits ! Maudits ! Soyez tous maudits ! » Les flammes du bûcher on déjà atteint les deux hommes mais ils trouvent encore la force de hurler. En ce 18 mars 1314, au terme d’un procès de sept ans, les derniers dignitaires de l’Ordre des Templiers — le grand maître Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay, précepteur de Normandie — vont bientôt passer de vie à trépas. Leurs crimes ? Commerce avec le diable, rejet de l’Église catholique, qui les accuse d’hérésie et de dépravations en tout genre. L’Histoire retiendra que les deux hommes ne cessent de clamer leur innocence et leur foi en Dieu. Mais on attribuera aussi à Molay cette terrible malédiction :

« Pape Clément, juge inique et cruel bourreau ! Chevalier Guillaume de Nogaret ! Roi Philippe le Bel ! Avant un an, je vous cite à comparaître devant le tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » (Extrait des Rois Maudits de Maurice Druon.)

Des heures durant, le brasier continuera son œuvre, réduisant en cendres les derniers des Templiers. Et à travers eux la gloire passée d’un Ordre qui fut naguère si puissant. Émue, la foule finit par briser les cordons de la garde et les plus courageux se précipitent sur l’échafaud pour y recueillir le moindre os calciné. Grand bien leur fasse ! Quand l’année s’achèvera, ils ne douteront plus que ces précieuses reliques recèlent un réel pouvoir. Car le pape, le roi et son fieffé chevalier, les fameux maudits qui précipitèrent la chute de l’Ordre, sont tous les trois morts dans d’étranges circonstances !

Dès lors, les Templiers entrent dans la légende, auréolés de mystère : assurément, ils devaient avoir des pouvoirs occultes pour se venger ainsi de leurs bourreaux, par-delà la mort. Peut-être même étaient-ils réellement coupables de tous les crimes dont on les a accusés. Et au fait, qu’est donc devenu le fabuleux trésor que les Templiers ont amassé pendant deux siècles ? Évidemment, tous ces mystères n’ont pas manqué d’enflammer les esprits curieux, souvent illuminés, parfois romantiques, mais toujours avides de secrets. Au plus grand dam des historiens qui martèlent que les Templiers n’avaient vraiment pas besoin de ça pour entrer dans la légende. Car ils furent les héros d’une formidable épopée, pleine de bruit et de fureur !

Mission première : protéger les chrétiens qui parcourent la Terre sainte

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« À moi, beau sire !
Baucent à la rescousse ! »
- Cri de guerre des templiers -

(Illus. Thierry Ségur)

Oyez donc, brave lecteur, la grande saga des Templiers, dont la funeste chute n’eut d’égale que la grandeur. Tout commence en 1118, lorsqu’un chevalier champenois, Hugues de Payns, et huit des ses compagnons d’armes décident de fonder la confrérie des Pauvres Chevaliers du Christ. Dix-neuf ans plus tôt, la première Croisade a fini par bouter les musulmans hors de Jérusalem, Ville sainte entre toutes, puisqu’elle vit le Christ mourir en croix, puis ressusciter d’entre les morts. Las, pour s’y recueillir, les nombreux pèlerins venus de toute l’Europe empruntent des routes peu sûres, à la merci des pillards. Hugues de Payns et ses compagnons se donnent donc pour mission de protéger tous les chrétiens qui parcourent la Terre sainte. Reconnaissant, le roi Baudoin II, souverain du nouvel Etat latin de Jérusalem, leur attribue bientôt les bâtiments qui s’élèvent sur l’emplacement de l’ancien temple de Salomon. Les nobles « gendarmes » se baptiseront dès lors « chevaliers du Temple » ou tout simplement… « Templiers ».

Mais servir Dieu l’arme au poing se révèle vite insuffisant :  les Templiers veulent aussi prendre un engagement religieux, consacrer aussi leur vie à la prière et devenir de véritables « moines-soldats ». Étrange idée, en vérité ! Car la tradition veut justement que les moines soient pacifiques et incapables de verser le sang. C’est pourtant saint Bernard — fondateur de l’abbaye de Clairvaux et l’une des plus éminente personnalité de l’époque — qui sera leur meilleur soutien. Rien d’incompatible dans le vœu des Templiers, dit-il :

« Le Chevalier du Christ donne la mort en toute sécurité et la reçoit avec plus d’assurance encore. S’il meurt, c’est pour son bien, s’il tue, c’est pour le Christ. »

Et la Confrérie devient finalement en 1128 un ordre religieux à part entière, avec une règle très stricte, des devoirs et des privilèges. Et surtout avec la bénédiction du pape : lui seul aura autorité sur les Templiers, tandis que les seigneurs, le clergé ou même les rois ne pourront revendiquer aucune emprise sur eux. Autant dire que le pape dispose désormais d’une véritable armée capable d’entretenir une croisade permanente en Terre sainte !

chapitre

En 1147, le pape Eugène III (à gauche) et le roi Louis VII (à droite) participent au chapitre (assemblée) général des Templiers à Paris. Pour la première fois, les 130 moines-soldats présents portent leur blanc manteau avec une croix rouge (au-dessus du cœur). (Œuvre de François-Marius Granet, 1844, Versailles.)

Dès lors, les rangs de l’ordre grossissent considérablement : on compte, d’Orient en Occident, jusqu’à près de 9 000 commanderies, ces domaines privés ou règne l’observance templière. En Europe, les Templiers  recrutent et préparent nobles et manants à leur future mission guerrière (voir « Prier, combattre et travailler » ci-dessous). Mais ils consacrent aussi l’alliance de l’épée et de la charrue en veillant aux récoltes et au bétail dans leurs domaines toujours plus nombreux, tant les donations affluent sous formes d’herbages, de terrains divers et de ressources forestières. Après plusieurs décennies, l’Ordre acquiert donc une réputation de richesse bien loin d’être usurpée !

carte-mini Les États latins d’Orient à leur apogée. (Illus. Dominique Galland)

« … qu’il fut armé de fer ou non. »

En Terre sainte, les Templiers sont de tous les combats et leurs exploits participent largement au développement des États Latins d’Orient, qui finissent par s’étendre de l’actuelle Turquie à la mer Rouge (voir carte ci-contre). Leur fougue au combat devient alors légendaire. Ainsi, en 1153, durant l’assaut de la ville fortifiée d’Ascalon, en Égypte, Bernard de Tremelay et quarante Templiers sont, comme de coutume, en première ligne. Quand une brèche s’ouvre dans la muraille, ils s’y ruent en masse mais se retrouvent rapidement encerclés par une marée de défenseurs. Tandis qu’à l’arrière, les autres croisés refluent, les Templiers sont massacrés jusqu’au dernier, puis leurs cadavres suspendus aux murailles. Un tel acharnement au combat « à outrance » (jusqu’à la mort) s’explique en partie par la règle templière qui impose au chevalier de ne pas fuir la bataille…

« … qu’il fut armé de fer ou non ; car il ne doit laisser le gonfanon [la bannière de l'Ordre] pour aucune chose sans congé, ni par blessure, ni pour autre chose. »

(La règle du Temple - Les pénitences [art. 419])

En fait, ce n’est que lorsque le dernier étendard aura « tourné à la déconfiture » que le chevalier est autorisé à se réfugier « là où Dieu le conseillera ». Autant dire qu’entre-temps, bon nombre sont resté sur le carreau !

Ces combattants sont si valeureux qu’ils peuvent même renverser le cours d’une bataille. Ainsi en 1177, quand 80 templiers venus de Gaza à marche forcée rejoignent à Montgisard l’armée de 500 chevaliers de Baudoin IV : le roi y est en prise avec les forces de Saladin, le grand sultan parti à la reconquête territoires perdus. Or ce renfort est si précieux que l’armée chrétienne met en déroute les quelque 30 000 soldats ennemis !

Mais pas moins de sept croisades, et des décennies de guerre permanente n’y changeront rien : le XIIIe siècle est celui de la reconquête musulmane. Les villes et forteresses des États latins tombent les unes après les autres. Même la vaillance des Templiers ne sauvera pas Jérusalem en 1244 : sur 348 chevaliers engagés, 312 tombent au champ d’honneur. Leur épopée en Terre sainte s’achève finalement en 1291 avec la chute de Saint-Jean-d’Acre, quand le dernier territoire chrétien retombe aux mains des infidèles. Certes, les Templiers conservent en Europe toute leur puissance, leurs richesses et leurs prérogatives. Mais leur rayonnement se ternit et, privés de leur raison d’être,  les voici de plus en plus impopulaires. Surtout, ils ne savent pas encore que leur propre fin est proche…

Prier, combattre et travailler

L’organisation des Templiers était calquée sur celle de la société féodale qui distinguait trois grandes fonctions : prier, combattre et travailler. L’Ordre recrutait donc à la fois des chapelains (prêtres), des gens d’armes (chevaliers et sergents) et des « frères de métier » (de professions très diverses : charpentier, cultivateur, forgeron…). Les chevaliers étaient les guerriers d’élite : lourdement armés, ils disposaient chacun de trois chevaux et de deux écuyers pour les servir. Pour prétendre au titre de chevalier au sein de l’Ordre, il fallait déjà avoir été adoubé auparavant, ou descendre d’un chevalier en ligne masculine. Les sergents, en revanche, étaient recrutés parmi les roturiers : ils pouvaient aussi combattre à cheval, mais étaient plus légèrement équipés. Enfin, précisons qu’il existait deux autres ordres guerriers à l’époque des Templiers : celui des Hospitaliers, dont la vocation première était purement médicale, mais devint aussi guerrière en 1137. Et l’ordre des chevaliers Teutonique, principalement composé de croisés germaniques, fondé en 1198.

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Cet article a été publié le Dimanche 22 février 2009 à 14 h 54 min et est classé dans Histoire. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Les commentaires et les pings sont actuellement fermés.

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