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L’Épopée des Templiers

   Ecrit par : Olivier Fèvre   in Histoire

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Des chevaliers du Temple sont menés en prison par des agents du roi, le 13 octobre 1307. (Miniature du XIVe siècle.)

La « rafle » des Templiers

Seulement quinze ans ont passé et nous voici à l’aube d’un petit matin blême, un certain vendredi 13 octobre 1307. Depuis quelques heures, tous les soldats portant la livrée du roi de France, Philippe le Bel, sont sur le pied de guerre. Durant la nuit, les officiers leur ont communiqué les instruction du souverain :

« Nous avons décrété que tous les membres de l’ordre [de la milice du Temple]  de notre royaume seraient arrêtés, sans exception aucune, retenus prisonniers et réservés au jugement de l’Église et que tous leurs biens, meubles et immeubles, seraient saisis, mis sous notre main et fidèlement conservés. »

in Rex jubet templarios comprehendi [Ordre d'arrestation des Templiers], lettre rédigée le 14 septembre 1307 par Nogaret au nom du roi Philippe IV le Bel.

Pour l’époque, cette « rafle » à l’échelle du pays est un véritable coup de maître. On estime que 556 Templiers furent arrêtés (dont 138 rien qu’à Paris) et que très peu en ont réchappé : 12 officiellement, mais plus probablement le double. Surtout, un seul dignitaire de haut rang (Gérard de Villers, précepteur de France) parvient à s’enfuir. Un seul !

Que s’est-il donc passé ? Pourquoi Philippe le Bel a-t-il ordonné ce monumental coup de filet ? Ainsi le justifie le roi :

« Une chose amère, une chose déplorable, une chose assurément horrible à penser, terrible à entendre, un crime détestable, un forfait exécrable, un acte abominable, une infamie affreuse, une chose tout à fait inhumaine, bien plus, étrangère à toute humanité, a, grâce au rapport de plusieurs personnes dignes de foi, retenti à nos oreilles, non sans nous frapper d’une grande stupeur et nous faire frémir d’une violente horreur… »

ibidem

Et le souverain de considérer que, à n’en pas douter, les Templiers sont coupables d’hérésie, d’activité sataniques et de nombreuses dépravations. Tous ces crimes seront dès lors au centre d’un procès qui fera trembler l’Europe entière…

Seulement voila. Aux yeux de l’Histoire, ces accusations ne valent pas tripette. Certes, les aveux ne manquent pas, mais ils sont toujours extirpés sous la torture ! Car dans le Royaume de France, Philippe le Bel contrôle l’Inquisition, ce « tribunal ecclésiastique » (« de l’Église ») de bien triste renommée chargé de débusquer et réprimer l’hérésie où qu’elle se trouve… ou pas, d’ailleurs. C’est elle, ainsi, qui mit à mort des légions de prétendues sorcières, de supposés hérétiques et, surtout, d’opposants à l’autorité du pape ou du roi de France.

Sa méthode est simple et efficace : elle commence par dresser la liste des pires infamies, puis utilise des tortures innommables pour qu’un accusé — même innocent — reconnaisse ces crimes. S’il avoue, il a la vie sauve et il est jeté en prison ; mais s’il persiste à vouloir les nier, il expiera ses « fautes » sur le bûcher.

Rapidement livrés à l’Inquisition après leur arrestation, les Templiers n’échapperont pas à la règle. Braves sur les champs de bataille, ils seront incapables de supporter les longues séances de torture, au point d’avouer à peu près tout et n’importe quoi. Les exemples abondent, mais le cas de ce chevalier qui vient de voir 54 de ses compagnons brûlés vifs sur un bûcher est particulièrement révélateur : il finit par déclarer aux juges qui l’interrogent qu’il « avouerait même avoir tué le Seigneur si on le lui demandait ». C’est dire la valeur des prétendues « confessions » !

Mais pourquoi diable Philippe le Bel s’est-il acharné ainsi sur les Templiers ? On a souvent dit qu’il voulait mettre la main sur leurs riches possessions (voir « Le trésor des Templiers » ci-dessous). Explication un peu courte ! Qu’il veuille profiter de la chute de l’Ordre pour ensuite remplir ses coffres, soit ! Mais Philippe le Bel étant tout de même l’un de ces « grands rois qui ont fait la France », c’est ailleurs qu’il faut chercher sa principale motivation (*).

En fait, il semble plutôt que le monarque ait été guidé par une formidable ambition : organiser une nouvelle croisade pour reconquérir la Terre sainte ! Rappelons que depuis la chute de Saint-Jean-d’Acre, en 1291, l’Occident n’a plus aucun territoire « outre-mer ». Philippe le Bel, dont le père (Philippe III le Hardi) et le grand-père (Saint Louis) ont connu de lourdes défaites en croisade, ne peut dès lors que songer à la reconquête, comme il l’a d’ailleurs solennellement affirmé en 1312. Or il est convaincu que cette nouvelle croisade ne sera efficace qu’en fusionnant les deux grands ordres guerriers de l’époque, les Hospitalier et les Templiers. Il marcherait alors à leur tête en tant que grand maître et roi conquérant.

Seulement, les Templiers ont refusé de sacrifier leur indépendance pour se placer sous la coupe de l’ambitieux souverain… ce qui a sans doute précipité leur chute. Ils s’étaient cru intouchables, voire indispensables, et n’en tombèrent que de plus haut quand le roi signa leur arrêt de mort !

Naissance d’une légende

Si les Templiers n’était pas un Ordre occulte, doté de pouvoirs sataniques, que penser alors de la fameuse malédiction que Jacques de Molay prononça, dit-on, durant son agonie sur le bûcher ? Encore une fois, c’est bien la preuve que les légendes sont tenaces. Mais reprenons les faits…

En ce 18 mars 1314, sur le parvis de Notre-Dame de Paris envahi par la foule, le dernier grand maître Jacques de Molay et trois de ses compagnons d’infortunes écoutent la lecture de leur condamnation : puisqu’ils ont avoué leurs crimes, ils subiront la prison à vie.

Soudain, coup de théâtre : Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay se dressent et protestent de leur innocence devant une foule stupéfaite. Ils clament que l’Ordre est saint, que la règle du Temple est « sainte, juste et catholique ». Les Templiers n’ont commis ni les fautes, ni les hérésies dont on les a accusés, sinon le crime d’avoir faussement avoué pour sauver leur vie.

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La Lecture de la sentence de condamnation des Templiers
(Alexandre Evariste Fragonard - Musée national Magnin, Dijon)

Le sort en est jeté ! Cet ultime sursaut de courage leur vaut d’être déclarés relaps (retombés dans l’hérésie), et les voici condamnés au supplice du feu ce même jour sur un bûcher dressé non loin de là, sur l’Île-aux-Joncs. Ils rejoindront ainsi leurs 54 compagnons qui, le 10 mai 1310, avaient déjà subi le même sort pour sauvegarder l’honneur de l’Ordre. Plus jamais ils ne fléchiront, ni ne craindront la mort.

Leur dernière requête ? Que l’on tourne leur visage vers Notre-Dame pour lui adresser une ultime prière, comme les Templiers en avait coutume chaque soir, en tout lieu d’Orient et d’Occident. Des témoins écriront que, durant tout le supplice, une vague de sympathie s’empara de la foule, émue par le courage des deux hommes. Quid de la fameuse malédiction ? Ses colporteurs devaient avoir l’ouïe particulièrement fine car, nulle part en France ou en Europe, il n’en est fait mention dans les comptes rendus de l’exécution !

Mort de Philippe IV le Bel

Mort de Philippe IV « le Bel »
(Chroniques de France, XVe - BNF)

En réalité, cette malédiction est certainement apparue plus tard pour expliquer d’autres trépas. D’abord celui du pape Clément V, à peine plus d’un mois après l’exécution de Molay. Totalement sous l’influence de Philippe le Bel, il avait laissé tombé « ses » Templiers pour satisfaire le roi. Puis la mort de Philippe le Bel lui-même, frappé d’apoplexie suite à une chute de cheval, le 29 novembre de la même année. Qu’importe que les deux hommes aient alors dépassé la quarantaine, un bel âge pour l’époque : aux yeux de beaucoup, ces décès rapprochés sont forcément troublants !

Il suffira ensuite de leur associer les morts du premier conseiller du roi et instigateur du procès, Guillaume de Nogaret (même si son décès est survenu un an plus tôt), et du principal témoin de l’accusation, Enguerrand de Marigny (pendu en 1315), puis cinq années d’intempéries et de famines… et enfin l’extinction de la dynastie des capétiens en 1328 pour que les esprits soient définitivement marqués. Somme toute, la fameuse malédiction eut un formidable succès simplement parce que la fin de l’ordre du Temple coïncida avec celle de l’époque féodale, l’« heureux temps de Saint Louis », à jamais révolu après l’entrée du Royaume dans une de ses périodes les plus sombres : la terrible guerre de Cent Ans.

(*) De toute façon, les autorités ecclésiastiques ont décidé après l’arrestation des Templiers de transférer tous leurs bien à l’ordre des Hospitaliers. Au temps pour le roi !

Le trésor des Templiers

Une légende particulièrement tenace raconte que, la veille de la grande vague d’arrestation des Templiers, plusieurs chariots bâchés ont nuitamment évacué des barils d’or et d’argent du Temple de Paris. C’est là, en effet, qu’était entreposé la trésorerie de l’Ordre… ainsi, d’ailleurs, qu’une partie du trésor que lui avait confié le roi Philippe le Bel. Ensuite, le mirifique magot auraient été caché quelque part dans le royaume. Entre autres hypothétiques destinations : Gisors, La Rochelle, Provins, les carrières souterraines de Saint-Martin-le-Nœud (Oise), et des dizaines d’autres lieux plus chargés de mystère les uns que les autres.
Si l’aventure vous tente, vous y rencontrerez très certainement maints chercheurs de trésors plus ou moins équipés… qui font fi des conclusions des historiens ! Car tous s’entendent pour dire que la rafle fut si minutieusement préparée que très peu de templiers échappèrent aux forces de Philippe le Bel. Et quand bien même certain auraient eu vent des intentions du roi, pourquoi les auraient-ils prises en considération ? L’Ordre ne relevant que de l’autorité du pape, il n’avait de comptes à rendre à personne, pas même au roi de France ! Si « fuites » il y eut, elles furent donc ignorées. Quant au fameux trésor du Temple parisien, il n’a pas échappé à la règle. Une fois les Templiers arrêtés, les agents de Philippe le Bel confisquèrent et dressèrent de minutieux inventaires de tous leurs bien numéraires, objets précieux, instruments du culte, armes, documents, etc.
Est-ce à dire qu’il n’existe aucune cache templière, qu’il est impossible de trouver encore aujourd’hui un riche dépôt dans l’une des commanderies qui parsèment le pays ? N’allons pas jusque là… quoiqu’il faille encore s’entendre sur la notion de trésor ! Comme en témoigne cette découverte faite, il y a quelques années, par le propriétaire d’un ancien bâtiment templier. S’intéressant au plan de la cave, il découvre qu’un mur, apparemment plus épais que nécessaire, abritait une authentique cache telle qu’en ont rêvé de découvrir des générations de chercheurs de trésor. Que contenait-elle ? Des rouleaux de plomb protégeant des parchemins qui, une fois traduits, s’avérèrent reconstituer une véritable carte de France, avec calcul des distances de villes à villes. Un véritable trésor, en vérité ! Tant pour l’époque… que pour les historiens d’aujourd’hui.

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Cet article a été publié le Dimanche 22 février 2009 à 14 h 54 min et est classé dans Histoire. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Les commentaires et les pings sont actuellement fermés.

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