Europe : secrets de cours
Tandis que les Arabes inventaient la cryptanalyse au IXe s., l’Europe balbutiait avec les codes secrets durant tout le Moyen Âge. Tout juste quelques moines isolés trituraient-ils la Bible pour tenter d’y trouver des mystères cachés. En fait, il faut attendre le XVIe s. pour que la cryptologie entame une période florissante sur le Vieux continent. Car, encore une fois, il fallait un terreau fécond alliant connaissance et nécessité. Or, dès le XVe s., la Renaissance des arts et des sciences avait déjà commencé de cultiver les esprits. Restait la nécessité, qui s’accrut aux XVIe s. et XVIIe s. avec la multiplication des complots politiques et des échanges diplomatiques entre nations.
En tête d’affiche : l’Italie, alors constituée d’une mosaïque d’États indépendants engagés dans des conflits incessants. Chaque cour devant communiquer secrètement avec sa flopée d’ambassadeurs envoyés dans les pays voisins, l’usage de codes secrets devint pour tous une seconde nature, un gage de discrétion et d’efficacité.
L’utilisation des codes secrets finit par se répandre comme une traînée de poudre à travers toute l’Europe : de la cour d’Angleterre à Venise, de l’Anjou à la Pologne, en passant par le Vatican, quelques cryptanalystes en vinrent à se tailler de belles réputations. Comme le sieur Philippe Babou, si opiniâtre au service de François Ier que le roi eut tout le loisir d’entretenir une relation durable avec.. son épouse ! Ou cet autre spécialiste, François Viète, si efficace à décrypter les chiffres espagnols que le roi Philippe II alla jusqu’à se plaindre au Vatican : les prouesses du cryptologue étaient forcément dues à des dons démoniaques !
Symboles à gogo
Idée simple : puisque l’analyse des fréquences permet de briser un chiffre de substitution, on peut brouiller les pistes en multipliant les symboles. Ainsi, comme e représente environ 18 % des lettres d’un texte (voir tableau page précédente), il suffit de lui faire correspondre 18 symboles différents. De même qu’on aura 8 symboles pour le s et le a (environ 8 %), 5 pour le o (5%) ou 1 pour le f (1 %), etc.
Au final, on disposera ainsi d’une centaine de symboles ayant à peu près tous une fréquence de 1 % dans le texte codé. Et bonjour la recherche par l’analyse des fréquences !
Reprenons notre exemple :
t | a | n | t | v | a | l | a | c | r | u | c | h | e | a | l | e | a | u |
€ | ♦ | ♥ | ♣ | ◊ | & | ¢ | ¥ | • | § | ¤ | ¿ | ° | ∑ | ∞ | ∩ | ð | Þ | Δ |
où a peut valoir ♦, &, ¥, ∞ ou encore Þ.
Trucs en vrac
À mesure que la cryptologie s’est répandue en Europe, les spécialistes ont développé toute une batterie de techniques pour amoindrir les faiblesses des chiffres de substitution, devenus trop fragiles devant l’analyse des fréquences. Par exemple en introduisant des signes « nuls » (inutiles) pour brouiller les pistes ; en orthographiant volontairement mal les mots, ou en les transcrivant en phonétique pour qu’on ne les repère pas au premier coup d’œil, etc.
Autre subterfuge : introduire des mots de codes cachés derrière une seule lettre. Du moment que le destinataire sait que D = « assassiner », J = « capturer », 28 = « prince », a = « porte », etc., un message très court (et donc échappant à la cryptanalyse par fréquence) pouvait s’avérer très efficace.
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