Un code à double tranchant

Au XVIe s., toute la vie de Marie Smart fut marquée par les guerres, les complots et les assassinats. Mais c’est le mauvais usage d’un code secret qui lui sera fatal et lui fera littéralement perdre la tête.

Reine d’Ecosse sept jours seulement après sa naissance, Marie fut la veuve du roi de France François II avant de se remarier et d’avoir toutes les peines du monde à conserver son trône écossais : en cette fin du XVIe s., il ne fait pas bon être catholique sur une île majoritairement anglicane. En 1567, Marie finit par abdiquer face aux insurrections ; emprisonnée, elle s’évade un an plus tard, se réfugie chez sa cousine Elisabeth Ire d’Angleterre.. qui la jette à son tour en prison. Officiellement pour le meurtre de son second mari, mais plus sûrement parce que la minorité catholique anglaise la tenait pour seule souveraine légitime du pays.

Dix-huit ans plus tard, la pauvre Marie se morfond toujours, prisonnière dans le château de Chartley, quand elle commence à entretenir une correspondance secrète avec Anthony Babington, le chef de ses partisans catholiques restés sur le continent. Et ce grâce à un précieux messager, Gilbert Giffort, qui a convaincu un brasseur local de cacher les messages dans la bonde creuse d’une barrique de bière. Une fois parvenue au château, les missives sont récupérées et transmises à la reine par l’un de ses serviteurs, tandis que les réponses empruntent le chemin inverse.

Évidemment, tous les messages sont codés, selon une technique qui alliait à la fois substitution alphabétique (23 symboles pour l’alphabet, le j valant i, le v et le w valant u) et une « nomenclature » de 36 symboles représentant des mots ou expressions : « quand », « recevoir », « ici », « porteur [du message] », etc.

Hélas pour Marie et ses partisans, ils ignorent que le sieur Giffort est en fait un agent double ! Chaque fois qu’il porte un nouveau message, il fait un petit détour par les services de Francis Walsingham, Premier secrétaire de la reine Elisabeth, le plus impitoyable et machiavélique de ses ministres, qui avait mis sur pied un remarquable réseau international d’espions. Les messages secrets sont aussitôt recopiés, puis transmis à Thomas Phelippes, l’un des meilleurs cryptanalystes d’Europe… qui finit par déchiffrer le code de Marie Stuart.

Quand le complot pour libérer Marie se précise, Walsingham demande à Phelippes d’ajouter un faux post-scriptum codé à la fin d’une réponse de Marie, signalant qu’elle aimerait bien « connaître les noms et qualités des six gentilshommes qui accompliront notre dessein [...] ». Quand la réponse arrive, Walsingham peut ainsi identifier les traîtres, et il attend patiemment qu’ils mettent les pieds en Angleterre pour les arrêter.

Quant à Marie, elle a aussi signé son arrêt de mort en notifiant explicitement son accord pour le complot dans l’un de ses messages. Ils sont donc utilisés comme pièces à conviction durant son procès et elle est finalement jugée coupable de haute trahison. Lorsqu’elle monte sur l’échafaud, le 8 février 1597, sans doute se mord-elle encore les doigts d’avoir eu trop confiance en son fameux code secret.

Le chiffre de Vigenère

Pour palier les faiblesses des simples chiffres de substitution, devenus trop fragiles face au talent des cryptanalystes, le diplomate français Blaise de Vigenère fit un formidable bond en avant vers la fin du XVIe s. Certes son chiffre repose toujours sur l’utilisation d’une clef, mais le protocole s’avère beaucoup plus subtil : plutôt que de se contenter de placer la clef en tête de l’alphabet chiffré, le chiffre de Vigenère l’utilise pour décaler une à une les lettres du message (voir ci-dessous).

Pour l’anecdote, Vigenère publia son Traité des chiffres en 1586… l’année même où Phelippes brisait le chiffre de Marie Stuart. Ah ! si la reine et son secrétaire avaient pu le consulter… Mais le plus étonnant, c’est que le chiffre de Vigenère — pourtant inattaquable par l’analyse des fréquences — resta complètement négligé pendant deux siècles. Jusqu’à ce qu’on le considère, à juste titre, comme un vrai petit bijou.

En pratique, supposons qu’un expéditeur veuille transmettre à son destinataire le message « tant va la cruche à l’eau ». Sachant que leur clef commune est SOLEIL, le crypteur répète dans un premier temps la clef au-dessous du message clair :

t a n t v a l a c r u c h e a l e a u
S O L E I L S O L E I L S O L E I L S

Le crypteur décale alors chacune des lettres du texte clair, d’un rang qui est déterminé par celui de la lettre correspondante dans le mot-clef, A introduisant un décalage de 0, B de +1, C de +2, etc. Dans notre exemple, nous avons :

S O L E I L
+18 +14 +11 +4 +8 +11

et le message devient :

t a n t v a l a c r u c h e a l e a u
+18 +14 +11 +4 +8 +11 +18 +14 +11 +4 +8 +11 +18 +14 +11 +4 +8 +11 +18
L O Y X D L D O N V C N Z S L P M L M

Le destinataire fera l’opération inverse en prenant l’alphabet à rebours :

Lt (-18) ; Oa (-14) ; Yn (-11), etc.

Toute la « magie » du chiffre de Vigenère vient de ce que les lettres d’un message sont rarement codées de la même façon. Ainsi, on remarque tout de suite que le premier a (position 2 dans le texte clair) et le deuxième (6) sont respectivement codés O et L. Inversement, deux lettres identiques du message chiffré sont souvent liées à des lettres claires différentes. Dans notre exemple, les deux D en 5e et 7e positions correspondent ainsi à un v un I ! Puissant, non? D’un simple chiffre de substitution « monoalphabétique », Vigenère venait d’inventer le premier chiffre « polyalphabétique », inattaquable par l’analyse des fréquences.

Test n°4

BMYOS WYNOJ ZLWYG BPDJS
VNJHV NONMK UHSWX GBPDY lJ

Indice : Seigneur
(cosmique) des anneaux.

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Cet article a été publié le Mardi 27 janvier 2009 à 0 h 21 min et est classé dans Cryptographie, Histoire, Histoire des Sciences. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Les commentaires et les pings sont actuellement fermés.

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