Le Grand Chiffre et l’énigme du Masque de fer

Antoine et Bonaventure Rossignol, le père et le fils, étaient les cryptanalystes favoris de Louis XIV. Ils inventèrent un chiffre si efficace et original qu’il tint en échec non seulement tous les ennemis du roi, mais aussi plusieurs générations d’historiens et de cryptanalystes ! Il faut dire que les documents rassemblaient des milliers de nombres à la file, du genre « 23 485 236 72 268 493», et qu’on n’en comptait pas moins de 587 différents…

Quel désastre pour les historiens ! Bon nombre d’archives étant ainsi chiffrées, ils durent attendre 1890 pour qu’un talentueux cryptanalyste de l’armée française en vienne enfin à bout. Étienne Bazeries, c’est son nom, pensa d’abord que chaque nombre représentait un « digramme », autrement dit l’une des 626 (26 x 26) paires de lettres possibles en français. Ayant échoué, il travailla ensuite sur les syllabes entières… Bingo ! Partant de la supposition que la suite 124-22-125-46-345, répétée dans plusieurs documents, pouvait remplacer «les-en-ne-mi-s », il reconstitua de proche en proche le Grand Chiffre des Rossignol.

Conséquence de taille : les historiens purent enfin s’intéresser à de nombreuses lettres de Louis XIV enfin devenues intelligibles. Et notamment celle ayant trait à l’une des plus grandes énigmes qui ait agité la France : l’identité de l’homme au Masque de fer !

Ce mystérieux personnage, enfermé jusqu’en 1698 dans la forteresse de Pignerol, fut le sujet d’innombrables controverses. L’une des théories les plus répandues était celle de la conspiration : il se serait agi du frère jumeau du roi, emprisonné pour ne pas lui potter ombrage.

Seulement voilà. Dans l’une des lettres déchiffrées par Bazeries, Louis XIV ordonnait justement qu’on envoie à Pignerol un prisonnier un peu spécial : un certain général Bulonde, convaincu de lâcheté devant l’ennemi. Surtout, le texte précisait clairement qu’il pourrait « se promener sur les remparts dans la journée, en portant un 330 ». Fouchtra ! Pour Bazeries, la cryptanalyse venait d’élucider le mystère, car 330 devait signifier « masque » !

« Billevesées ! » répondirent les tenants de la version romanesque. D’abord, Bulonde était encore en vie en 1708, cinq ans après la mort du mystérieux prisonnier. Et quand bien même 330 signifierait « masque », Louis XIV a très bien pu écrire la lettre pour brouiller les pistes. Bref, l’énigme reste entière… mais cela n’ôte rien au tour de force de Bazeries.

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En hommagee à leur talent, le terme
« rossignol »
désigne aujourd’hui un outil permettant de forcer les serrures.

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Cet article a été publié le Mardi 27 janvier 2009 à 0 h 21 min et est classé dans Cryptographie, Histoire, Histoire des Sciences. Vous pouvez suivre les commentaires sur cet article en vous abonnant au flux RSS 2.0 des commentaires. Les commentaires et les pings sont actuellement fermés.

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