Cryptographie pour tous !

Malgré ce pas de géant que représente l’avénement de la cryptographie asymétrique (page précédente), il faut bien dire que le système restait lourd à exploiter : l’émetteur devait d’abord réussir à contacter son destinataire, puis ils s’échangeaient des messages (les fameux « pots de peinture ») pour obtenir une clef commune, et c’est seulement après ces étapes que le message sécurisé pouvait enfin transiter. C’était long, beaucoup trop long !
Heureusement, en 1977, un second groupe de chercheurs — Rivest, Shamir et Adleman — corrigea cette faiblesse en imaginant le principe, tout aussi novateur, d’une « clef publique ». Oui, vous avez bien lu, une clef publique qu’on peut afficher au grand jour, mais qui a tout de même une qualité extraordinaire : si elle permet de chiffrer très facilement un message, elle est en revanche insuffisante pour le déchiffrer ! (voir « La clef publique » ci-dessous)

Ce système RSA (des initiales de ses auteurs) est aujourd’hui le plus sûr moyen de crypter les messages. En 1991, Phil Zimmermann (qui n’a rien à voir avec celui du télégramme) s’en inspira même pour créer le logiciel grand public PGP (Pretty good privacy) qu’il lâcha gratuitement sur Internet. Hélas pour lui, les autorités américaines ont alors considéré que PGP empêchait tout contrôle des activités des « Quatre cavaliers de l’Apocalypse » : les trafiquants de drogue, les mafias, les terroristes et les réseaux pédophiles.
Zimmermann fut donc poursuivi par le FBI, tandis que les exploitants du brevet RSA lui intentaient un procès pour utilisation abusive de leur système. En face, une légion internationale de défenseurs du droit à la vie privée soutint Zimmermann. Un mouvement toujours actif puisqu’il s’attaque aujourd’hui au réseau mondial d’écoute Echelon qui menace les libertés individuelles. Finalement, toutes les poursuites furent abandonnées en 1996, et Zimmermann est désormais libre de diffuser son PGP.
À la veille du IIIe millénaire, et après des siècles de confidentialité, la cryptologie est donc définitivement entrée dans le domaine public. Alors rendons hommage aux César, AlKindi, Vigenère, Babbage et autres résidents de Bletchley Park qui nous ont si brillamment ouvert la voie.
La clef publique

Le principe de la clef publique repose sur l’utilisation des nombres premiers qui ont la particularité de n’être divisibles que par 1 ou par eux-même. D’un côté, il est très simple de les multiplier : par exemple, un simple calcul nous donne rapidement 821 x 389 = 319 369. En revanche, si l’on vous donne d’emblée le nombre 160 229, vous aurez bien du mal à trouver rapidement à quel produit de nombres premiers il correspond. Il faudra faire un très grand nombre de tentatives… et ce n’est pas une sinécure !
En pratique, il vous suffit donc de choisir deux nombres premiers p et q (que vous gardez secrets), et de les multiplier pour définir votre clef publique N. Vous l’inscrivez alors sur votre carte de visite ou l’affichez sur votre site Web, de sorte que n’importe qui peut l’utiliser pour crypter un message avant de vous l’envoyer. Si un indiscret l’intercepte, il sera incapable de le déchiffrer car il ne connaît pas p et q. En fait, si N est de l’ordre de 130 bits — en décimal, cela correspond à un nombre de l’ordre de 1017, soit 1 suivi de dix-sept zéros — il lui faudrait théoriquement des milliers d’années pour les découvrir ! Tandis que vous, il vous suffit de lancer le décryptage automatique basé sur ces deux nombres… et le tour est joué en moins d’une seconde !
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