Une tragédie implacable
L’épopée des Enfants de Húrin est avant tout l’histoire d’une malédiction. Nous sommes alors au Premier Âge de la Terre du Milieu (le continent principal de l’univers de Tolkien). Elfes et Humains sont en guerre perpétuelle contre les suppôts de Morgoth, divinité déchue qui veut régner sur le monde. Húrin est un chef de guerre humain qui a eu le malheur de défier Morgoth au point d’attirer sa malédiction sur sont fils, Túrin, et sa fille, Nienor.
« Vois ! lance Morgoth à la face de Húrin, enchaîné au sommet d’une montagne. L’ombre de ma pensée pèsera sur eux partout où ils iront, et ma haine les poursuivra jusqu’aux confins de monde. »
La majeure partie du texte est dès lors centrée sur le personnage de Túrin, véritable héros dont nous découvrons les hauts faits dans sa guerre contre Morgoth. Sans trêve, il parcourt les contrées du Beleriand, vaste région située au nord de la Terre du Milieu (mais submergée par l’océan à l’époque du Seigneur des Anneaux). Une jolie carte en couleur vous permet d’ailleurs de suivre ses pérégrinations. De ses terres natales du Dor-Lomin au royaume sylvestre des Elfes, en passant par la cité cachée de Nargothrond et les rives du Sirion, Túrin devient la terreur des créatures de Morgoth. Par ruse et courage, il parviendra même à terrasser cet implacable fléau qu’est Glaurung, le premier et le plus puissant des dragons. Hélas, la malédiction de Morgoth assombri sans cesse son destin : ses errances le conduisent à devenir le chef d’une bande de brigands, il tue malgré lui son meilleur ami, ses compagnons d’armes tombent comme des mouches… et les deux femmes qu’il a aimées connaîtront le trépas.
Assurément, les Enfants de Húrin est loin de l’œuvre (somme toute) optimiste qu’est Le Seigneur des Anneaux. C’est en fait une tragédie, infiniment plus sombre, où nulle fin heureuse n’est à attendre. « Par la fureur qui est en moi et par mes actes inconsidérés, je jette une ombre partout où je m’attarde », regrettait Túrin. Et de fait, quand frère et sœur sont enfin réunis, plane derrière eux « l’ombre de leur noir destin. Et leur destin ici même s’est accompli, et cette terre sera à jamais prisonnière du chagrin ».
Pourquoi je vous recommande ce roman
Tenez-le vous pour dit : il n’y a pas d’âge pour aimer Tolkien. C’est donc à 40 ans sonnés que je me suis jeté avec plaisir sur cette version anglaise des Enfants de Húrin. Certes, en tant que fan inconditionnel, les aventures de Túrin « la Noire Épée » m’étaient déjà familières : on en trouve de larges extraits dans d’autres ouvrages de J.R.R. Tolkien. Mais qu’il est bon de savourer cette épopée sans avoir soi-même à reconstituer l’histoire en jonglant d’un livre à l’autre ! Quel bonheur de retrouver cette foule de détails qui font toute la richesse de l’univers de Tolkien, ou de redécouvrir ses sources d’inspiration (Túrin est, par exemple, inspiré d’un personnage d’une ancienne épopée finlandaise, le Kalevala). Alors on se prête au jeu : on accepte, le temps d’une lecture, que cette mythologie alternative proposée par Tolkien se présente comme une évocation des temps anciens. Car, assurément, Túrin a sa place au panthéon des héros : aux cotés d’Ulysse, Gilgamesh et autres Lancelot du Lac.
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